« Qui regarde vers lui resplendira
sans ombre ni trouble au visage »
Ps.33
La Pentecôte…
… Ou le grand chambardement
Par Michel-Marie Zanotti-Sorkine
Publié le 13/05/2021 dans l’édition du Figaro du 14/05/2016.
Le prêtre et écrivain Père Michel-Marie Zanotti-Sorkine rappelle le sens de cette fête chrétienne, qui célèbre la descente de l’Esprit-Saint sur les apôtres le cinquantième jour après Pâques.
À ceux qui sont au parfum de la foi, mais peut-être de loin, quelque peu embaumés par une vague odeur de Dieu ; à ceux qui ne ressentent plus du tout sa fragrance ; à ceux qui nient que le surnaturel puisse envahir le naturel ; à ceux qui marchent dans la vie les yeux sur leurs chaussures et non dans les étoiles, je souhaite tout de même, et vous ne m’en voudrez pas, une bonne fête de la Pentecôte!
Quelles que soient vos certitudes ou vos incertitudes, vos fixités ou vos flexibilités en matière de pensées, accordez-moi la joie de vous parler à présent de l’avenir, en retournant très en arrière, jusque dans cette maison de la vieille ville de Jérusalem que la tradition appelle le Cénacle et où les amis intimes du Christ, autant dire ses trouillards d’apôtres, se sont enfermés, grâce à Dieu, avec Marie qui en femme intrépide et en mère excusante les tient en alerte du meilleur.
Comment ne pas les comprendre? Ils nous ressemblent tant! Effrayés, plus que par la mort, dirait Hannah Arendt, mais par la manière de mourir, les voici cloîtrés, attendant la mystérieuse venue de l’Esprit de Dieu, soupçonné d’être une Personne réelle, mais non incarnée - on en perdrait son latin et son catéchisme - promise par le Christ lui-même. Cependant, pour l’heure, malgré cette folle promesse, l’Homme-Dieu, écorché sur la croix, continue de ravager les mémoires sous le récit de Jean, l’Ami, le témoin du carnage et de l’absence des plus proches. Aussi, chacun de ces derniers, rougi de honte au visage et dans l’âme, monte en esprit sur le bois, brûle en pensée sous les clous, suffoque pour de bon, meurt et reçoit le coup de lance en plein cœur.
Transfusion du Souffle divin dans le souffle humain ! On n’avait jamais vu ça ! Au diable le Dieu qui surplombe et juge ! À l’homme le Dieu qui pénètre et recrée !
Ici, puisque j’y suis, je mettrai, non ma tête à couper car j’ai encore des choses à vous dire, mais ma main au feu de Dieu, que pendant les quarante jours qui suivirent l’horreur du calvaire, les apôtres ont peu mangé, peu parlé - ça ne passait pas! - mais beaucoup prié et plus encore repensé à leur Messie dont le courage venait condamner sans le vouloir la faiblesse ontologique de leur petite nature qui demeure la nôtre. De son côté, le Christ, du haut du Ciel, compatissait comme jamais, et c’est peu dire, à l’humanité laissée à ses propres forces et à ses sales démons. C’est d’ailleurs en voyant Pierre, Jacques et toute la clique tourner en rond dans le Cénacle, les mains moites, le regard inquiet et la désespérance en bord de cœur, que le sang de Jésus ne fit qu’un tour. Signe que l’heure était venue d’exécuter le plan prévu depuis toujours.
Respirer comme Dieu, penser comme Dieu, agir comme Dieu
Que l’Esprit de Dieu se prépare donc au grand voyage! Sa feuille de route est sans détour: il s’agit pour lui de fortifier, d’illuminer, d’éclairer et de défendre l’homme s’il le fallait, mais attention! non pas par une action extérieure mais en traversant de sa lumière et de ses dons les facultés que sont l’intelligence, la volonté, la mémoire, l’imagination, la sensibilité et jusqu’à la moindre cellule du corps, de façon à ce que tout homme puisse respirer comme Dieu, penser comme Dieu, agir comme Dieu.
Transfusion du Souffle divin dans le souffle humain! On n’avait jamais vu ça! Au diable le Dieu qui surplombe et juge! À l’homme le Dieu qui pénètre et recrée!
Et maintenant, prenons-en plein les yeux, car la divinité se doit de jouer son grand jeu et elle y va fort! Coups de tonnerre, tremblements de plafond, langues de feu sur chaque tête incendiant les corps, suivie de l’ouverture automatique des portes, et en rebond, des jambes des apôtres qui maintenant dévalent les escaliers quatre à quatre sous les applaudissements et le rire éclatant de la Vierge. Et ces jambes, elles vont courir l’univers de toute leur joie, annonçant, à qui veut bien écouter, que l’homme est habité par plus grand que lui.
L’Esprit-Saint, roi du chambardement
Ainsi, en ce beau jour de Pentecôte, sous son action respectueuse - car Dieu frappe toujours avant d’entrer -, l’Esprit-Saint vient libérer l’esprit humain de ses pauvres certitudes pour y planter la vérité et ciseler le cœur en le dilatant jusqu’à ce qu’il comprenne les situations et les êtres et témoigne enfin d’une indulgence à toute épreuve. Personne ici-bas ne détient le dernier mot sur le mystère de Dieu - les plus grands théologiens ne font que balbutier comme des enfants de trois ans - et personne ne peut se targuer de connaître avec justesse les chemins par lesquels l’homme individuel doit passer pour plaire à Dieu. Certes, les clercs ont quelques idées qui sont claires mais qui ne sont pas pour autant la clarté même. Mais oui, restons humbles, d’autant plus que l’avenir reste à écrire. Et comme il ne s’agit pas uniquement de recopier, l’Esprit-Saint est le bienvenu, lui qui est le roi du chambardement, le garant de la foi, de l’audace et de la nouveauté. C’est ce qui me fait penser que le pape François vit du Souffle divin, et qu’en donnant du mou comme il le fait à la bride du Dieu-Amour, il contribue à graver dans les cœurs et en lettres d’or le contrecoup inouï de la Pentecôte: Dieu en l’homme et l’homme en Dieu.
* Derniers ouvrages: «Quand je ne serai plus là» ; «Lettre ouverte à l’Église», Robert Laffont, 2015.